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De la fine poterie des Arawak à la technique si particulière, aux formes harmonieuses et à la riche ornementation polychrome, rien n’est passé dans l’artisanat traditionnel créole. Mais leurs successeurs, les Caraibes, sont sans doute pour quelque chose dans l’actuelle production de Sainte-Anne.

Par delà le temps, bien des rapprochements sont à faire : activité exclusivement féminine (les Caraïbes «se laisseraient mourir de faim plutôt que de faire un pot ou un canari» écrivait le chroniqueur La Borde en 1674 – et à Sainte-Anne les hommes n’y ont apparemment participé que de manière très marginale), technique du colombin par étages et décoration dentelée des rebords par pression des doigts.

Il n’est pas impossible que d’autres influences soient en cause, pré-caraïbes ou encore africaines par l’intermédiaire des esclaves originaires de la Côte-d’Ivoire et du Ghana. Ainsi, comme chez les potières de Korhogo, en Côte d’Ivoire, on retrouve la même utilisation du pilon pour réduire la terre en poudre fine, la même position de travail au sol, le polissage par galets ou petites pierres, une méthode de cuisson identique et l’utilisation d’une longue perche de deux & trois mètres pour sortir les pièces du feu .

Les outils de la potière de sainte-Anne sont restés rudimentaires : coutelas pour l’extraction de la terre et l’abattage du bois de chauffe, pilon de bois (bois d’Inde ou «bois fè», très durs) qui mesure jusqu’à un mètre et peut peser dans les deux à trois kilos, pour écraser la terre dans une «chaudière» souvent récupérée des sucreries, une algue dite lébiché qui sert à tamiser, et une demi-calebasse ou “coui” (non, comme le lébiché, d’origine caraibe) destinée à contenir l’eau. La technique de fabrication, minutieusement décrite par Noëlle De Roo Lemos, est dans ses différentes étapes celle du «coco neg». canari pansu à fond bombé typique de Sainte-Anne.
Assise à même le sol, jambes écartées, la potière travaille sa terre tamisée en ajoutant de l’eau de façon à obtenir, par pétrissage, une galette aplatie de 1 cm d’épaisseur et de 10 à 20 cm de diamètre. C’est la «platine». La paroi est montée par des colombins ou boudins d’argile de 5 cm d’épaisseur environ que la potière superpose les uns aux autres, assurant le fondu par des gestes de rotation et de lissage. L’intérieur du pot est râclé à l’aide d’un «couébi», morceau de calebasse légèrement concave, de forme ovale, découpé dans le fruit du calebassier – qui servira également à lisser la paroi extérieure.

C’est le mouvement rotatif du couébi à l’intérieur du coco neg qui donne à celui-ci sa forme ventrue et arrondie. Viennent ensuite la pose des oreilles, le décollage des restes de platine, et le polissage intérieur à l’aide d’un galet qui en tassant les grains assurera si nécessaire l’imperméabilité de la poterie. la cuisson se pratique à ciel ouvert, sur une aire plane, les pots ayant déjà séché quelques heures à l’air, et elle ne dépasse pas 500 à 600 degrés. Avec sa longue perche de bois -le «fougon»- l’ouvrière retire ses canaris quand ceux-ci auront atteint la couleur rouge brique attendue et qu’ils auront rendu un son précis au contact du «fougon».
Depuis l’enquête de Paul-Emile Victor en 1941 la technique n’a pas changé, mais le métier se meurt.
La transmission qui se faisait de mère à fille est aujourd’hui rompue. Sur la dizaine d’artisanes recensées il y a trente ans, deux seulement continuent aujourd’hui. Mais ce sont des femmes âgées, qui ne produisent qu’à la commande, ou éventuellement pour le tourisme. Au début du siècle, les «brilé canari» voyaient passer, chaque samedi, d’imposantes cuissons de trente à cinquante douzaines de pots… Nombre de modèles autrefois courants ont quasiment disparu : les «grillades» pour griller café, cacao, «pista-ches» (arachides), les «terrines» de grande contenance pour la lessive et la toilette, les «léchuite» pour le poisson. Seul le «tesson» ou réchaud à braises pourrait bénéficier de la mode des grillades de plein air, mais avec la concurrence de la poterie des Trois-Ilets, plus dynamique et mieux placée par rapport au marché de Fort-de-France (depuis la disparition des gommiers et des bateaux à vapeur, les produits de Sainte-Anne ne se vendent plus que sur place), ce débouché reste aléatoire. Il est vraisemblable qu’à l’heure actuelle on assiste à la disparition des «dernières potières» de Sainte-Anne.

La poterie au tour

La Martinique possède depuis 1785 une fabrique de poterie au tour installée sur l’actuelle commune des Trois-Ilets, dans une région de terre rouge dont la plasticité se prête bien au modelage (à Sainte-Anne il s’agit de dépôts limoneux riches en silice).
L’originalité se situe ici tout d’abord au niveau de l’aménagement des ateliers. Les potiers des trois-Ilets résident sur ce qui donne encore une image assez exacte de la structure de «l’habitation» : autour de la briqueterie principale industrielle quatre quartiers de potiers, et, en arrière, des cases contigues de briques badigeonnées à la chaux, au toit de tuiles, qui s’étirent en rue triste. Ils sont locataires de leur atelier, et abandonnent au propriétaire de l’usine environ le quart de leur production.
Par opposition à Sainte-Anne, la poterie est de technique européenne avec tour et cuisson au four.


Le tour utilisé fonctionne au pied, avec toutefois une différence spécifique. Ce n’est pas le potier lui-même qui l’actionne, mais un aide qui, accroupi ou assis, imprime à l’aide d’un bâton de 1m50 environ un mouvement de va-et-vient à l’axe du tour, tandis que sur la platine de bois le potier façonne sa masse d’argile. René Louise met en liaison cette singulière technique avec le système social des premiers temps de la colonisation : le potier aurait été un «engagé» (petit blanc remboursant son voyage aux Iles par trois ans de travail chez l’ «habitant» qui a fait le debours) et l’aide un esclave noir. Il n’est pas impossible, non plus, que n’ait joué le mode d’actionnement des moulins à canne. tels qu’ils sont représentés sur les gravures des XVII° ou même XIX* siècles.

La cuisson des pièces s’opère entre 600 et 700° (au-delà de 1000° l’argile se déforme) dans des fours en brique alimentés au bois, avec un pourcentage relativement élevé de perte qui peut atteindre 30% de la production. La mauvaise préparation de l’argile, le contrôle à vue de nez de la température des fours sont pour beaucoup dans ces mécomptes. Les objets fabriqués sont variés, mêlant poteries d’un rouge foncé, à l’aspect très lisse, à des pieces de teinte plus claire et de toucher plus rugueux et toujours sans verni. Ils se réfèrent soit à des modèles européens (pots à fleurs, vases, grandes jarres) soit à des créations créoles («tessons» à braises, «coco-nègres» imités de Sainte-Anne, petite carafe trapue typiquement martiniquaise). Les artisans vanniers du Morne-des-Esses leur empruntent des formes de vases qui sont habillées de paille tressée, et ils leur assurent ainsi de façon permanente de grosses commandes.
Si le centre des Trois-Ilets demeure tres actif dans la fabrication et la distribution des articles de terre cuite en Martinique, son avenir est incertain. Il est trop lié au petit nombre de potiers, quatre en tout, aidés chacun de deux apprentis, à l’âge élevé de ces artisans, au faible succès de l’apprentissage, et à un écoulement sur le marché qui se heurte à la concur rence étrangère.


Source : l’historial Antillais
Dajani. Date : 1981-1986. 6 vol. : ill. ; 31 cm