On dit de lui qu’il est une bibliothèque agricole vivante. Il nous partage un peu de son savoir ainsi que sa vision de l’alimentation en Martinique, à travers cette interview réalisée à l’occasion de l’événement de labellisation du Projet alimentaire territorial (PAT) de Ducos, le 25 avril 2025. A l’heure où on importe 87% de notre nourriture en Martinique, il nous livre son avis sur ce que nous pourrions faire redonner pleinement leur place aux produits locaux.

Je me présente : Gérard Sainte-Rose, je suis le président de l’ANFAM, Association Nouvelles Forces alimentaires martiniquaises et notre objectif c’est de valoriser et revaloriser tous les produits de notre terroir sans exception.

J’ai quelques connaissances et j’essaye d’en faire profiter tous ceux qui m’entourent ; je continue à chercher également puisqu’on ne finit pas d’apprendre et, à partir de là, voir comment on peut tirer profit de toutes ces connaissances à partir des produits existants chez nous.

J’aimerais bien faire un petit retour en arrière car depuis 1979 j’ai lancé l’agriculture biologique en Martinique, qui était très très mal vue, d’ailleurs ça m’a valu des menaces mais bon ce n’est pas bien grave. J’ai fait une formation en agriculture conventionnelle ici.

Quand j’ai vu la façon dont les jeunes étaient formés, j’ai compris tout de suite qu’on allait propulser notre agriculture contre un mur.

A cette époque en 1981, j’avais dit que si on continue comme ça, on va manger tropical au lieu de manger local. Beaucoup de gens ne prêtent pas attention mais en faisant venir des produits tropicaux des Antilles, sans tenir compte des conditions de production et autres, ça peut faire que l’on mange des produits empoissonnés ; et le fait qu’on ne nous dise pas toujours l’origine, c’est aussi une source d’empoisonnement ; alors que chez nous en Martinique nous avons beaucoup de gens qui connaissent, qui sont des scientifiques.

Je sais qu’il y a ce problème de chlordécone ; moi je dis souvent :

C’est une réalité mais ce n’est pas une fatalité

Quand il y a cette réalité-là, il y a des méthodes de culture qu’on peut utiliser et donc même sur une terre chlordéconée on peut produire sans que le produit ne soit atteint. Ce sont des méthodes de production que l’on doit adapter pour tirer profit du petit carré de terre qu’on a acheté dans la cité puisque qu’on ne vous dit pas que c’était une terre à banane. Là aussi il y a mensonge et manque d’information.

La Martinique est un pays que n’a pas d’arrêt végétatif puisque nous avons des choses qui poussent toute l’année, donc avec tout ce que nous avons en connaissance, en maitrise,

la Martinique pourrait se nourrir sans avoir à attendre le bateau ou l’avion.

Maintenant c’est une question de volonté, pas seulement politique car la politique c’est un point dans l’océan, mais de la population pour qu’elle se réapproprie sa terre et son alimentation.

Il faut l’informer, l’éduquer, pas avec des mots mais avec des exemples.

Ca peut encore se faire c’est pourquoi dans notre association nous faisons de l’éducation, de l’information et nous faisons toucher du doigts chaque produit. Là nous nous battons pour faire connaître les légumes délaissés mais aussi les légumes ignorés car

La population ne sait pas que nous avons plus de 400 feuilles comestibles pour nous nourrir.

Vous voyez, il y a plein de légumes que nos aînés ont utilisés par le passé et que les jeunes ne connaissent pas. Je peux prendre en exemple le pois, nous avons plus de 60 variétés de pois en Martinique mais jamais vous trouvez un kilo de pois sur le marché. Or les pois ont des vertus et sont des protéines qui peuvent remplacer la viande qui elle peut empoisonner notre organisme ; donc il y a toute une information à faire. Quand on sait à quelle vitesse poussent les pois pour nous nourrir, on se rend compte que la Martinique n’a pas de problème réel, mais c’est un problème qu’on entretient pour que nous restions la main tendue. Tout est possible nous le disons. Par exemple, notre association produit du riz, nous essayons aussi de réhabiliter le chou Tadjo, et le jour où les Martiniquais vont découvrir ses potentiels ce sera la guerre du Chou, on va se prendre le chou. Il y a plein de produits comme ça, sur lesquels aucune école agricole n’informe, et qui ne sont mentionnés dans aucun discours alimentaire, ce qui fait que

nous restons toujours dans cette ignorance alors que nous sommes dans une abondance, ce que j’appelle l’abondance délaissée.

Je pense que tout est encore possible et maintenant que les gens s’éveillent à ces questions-là, il faut leur donner l’information, l’éducation pas seulement pour connaître le produit en lui-même mais aussi pour apprendre à le préparer puisqu’on ne peut pas nier que nos papilles gustatives ont été déviées mais on peut remettre au gout du jour des saveurs locales, car nous avons des techniciens culinaires pour le faire. Il faut rappeler que nous sommes une île à épices, or nous n’utilisons pas les épices de nous, il y a un problème, on ne devrait pas importer des épices. Il y a énormément de plantes aromatiques mais qu’on ne développe pas pour les mettre sur le marché. On les développe à la maison, on en utilise très peu et on en jette beaucoup.

C’est pourquoi il faut une réorganisation totale de notre environnement, de notre agriculture et de notre façon de consommer et nous verrons que le résultat c’est que nous aurons une santé nettement meilleure que celle que nous avons aujourd’hui et cela je le dis par expérience :

Tout est encore possible, la Martinique tangue mais elle ne sombre pas, alors essayons de trouver de bons vents pour remettre la Martinique à flot.

Contact : ANFAM – 0696 53 43 00 – anfamartinique972@gmail.com – 124 Chemin Pompon Soldat Bois-Rouge, 97224 DUCOS.

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